Aujourd’hui, je vous emmène dans l’univers de Colin Stetson.
Un musicien à part, né dans le Michigan, formé entre Detroit, Ann Arbor et Brooklyn, aujourd’hui installé à Montréal. Il est saxophoniste, mais il faut oublier ce mot car il l’a complètement redéfini. Chez lui, le saxophone n’est ni un instrument de jazz ni un outil d’improvisation. C’est une excroissance vivante, une chambre d’échos où résonnent l’os, le souffle, les membranes. Il y insuffle des drones organiques, des percussions naturelles, des vocalisations inouïes, jusqu’à créer tout seul, une musique complète, totale, tellurique.
Il a joué avec Tom Waits, Arcade Fire, Bon Iver ou Laurie Anderson, mais ce sont ses œuvres solo qui frappent par leur intensité brute. Il enregistre sans overdub, pratique la respiration circulaire et capte le tout avec des micros fixés sur son corps. Une musique qui semble jaillir d’un gouffre, d’une falaise et qui s’envole sans savoir voler comme ces oisillons nouveaux nés sur une paroi rocheuse et qui doivent se lancer pour la première fois.
Imaginez un musicien, seul dans une pièce. Il souffle. Il frappe. Il chante à travers le bec. Peu à peu, quelque chose se passe : ce qu’il entend ressemble à une basse, une batterie, une nappe continue, un cri lointain. Il recommence. Il affine. Il s’aperçoit qu’il peut être tous les rôles à la fois : le soliste, l’accompagnement, le rythme, le chœur.
Ce n’est pas de la démonstration. C’est une évidence. Tout ce qui vient de lui s’assemble comme un puzzle magique. Il n’a jamais voulu s’éloigner des autres, il ne cherche pas l’autarcie. Mais son propre corps, ses propres sons, entrent en résonance si naturellement qu’il n’a plus besoin d’un orchestre. L’orchestre est là. Il est en lui. Il est lui.
Et c’est cela, la musique de Colin Stetson.
Dans ses disques, tout est réel et tout est irréel. Les micros captent non seulement les notes, mais les bruits, la salive, les frottements, le souffle battant contre les parois de l’instrument. La respiration circulaire permet à la phrase musicale de ne jamais s’interrompre. Les harmoniques se superposent, les percussions naissent des frappes sur les clefs. On entend des chants humains alors qu’il est seul. Des rythmiques complexes alors qu’il ne joue que d’un seul instrument. Une polyphonie sans tricherie, sans montage.
Stetson joue avec son corps entier. Son torse devient caisse de résonance. Son souffle, une pulsation vivante. Sa bouche, une chambre vocale désincarnée. Rien n’est ajouté. Rien n’est triché.
Pas une performance, une immersion, une traversée.

Ce que Colin Stetson révèle, ce n’est pas seulement une manière de jouer. C’est une manière d’être au monde par le son. Une façon d’habiter l’espace comme on habite une transe. Chez lui, la technique est indissociable de l’émotion, le souffle indissociable de la mémoire. Sa musique est faite d’intensité, de répétition, de textures, mais aussi d’attente, de tension, de spiritualité étouffée.

Pour vous guider un peu dans l’approche de ce musicien je vous conseille un petit parcours:
En premier allons sur “When we were that what wept for the sea”, très doux très narratif et plein de belles envolées soudaines:
Puis j’ai envie de vous proposer la reprise d’une oeuvre classique de Gorecki que je trouve fantastique quand il la reprends : “SORROW – a reimagining of Gorecki’s 3rd Symphony”:
Et puis enfin son dernier album, noir, introspectif, une puissance d’univers qui se déploie sans fin.
Et pour finir je vous invite à regarder toutes les B.O qu’il a produit, films, série de qualité, manga, le monsieur est un touche à tout et tout ce qu’il touche se transforme en or.
Prenez soin de vous.