Je vous emmène dans l’univers de Florent Ghys, contrebassiste et compositeur qui a choisi de faire de son instrument un laboratoire à la fois intime et narratif. Né à Bordeaux, formé dans les rigueurs du conservatoire mais aussi par l’étude de l’ethnomusicologie et des musiques arabes contemporaines, il a très tôt compris que la musique n’est jamais une seule langue mais une constellation relevant d’une nature universelle. On sent chez lui l’héritage de la discipline académique, mais aussi la soif de déborder les cadres, d’aller chercher dans la répétition, la polyrythmie, l’accident du quotidien ce qui peut devenir art. New York, où il a vécu, a été pour lui une seconde école. Le minimalisme américain, les cercles de Bang on a Can, les expériences de l’hybridation entre électronique et instruments acoustiques. Mais il n’est pas un disciple ni un suiveur. Il a pris cette énergie comme on attrape un souffle, et il l’a réinjectée dans un univers unique où la contrebasse cesse d’être un simple figurant d’orchestre pour devenir la voix d’un monde intérieur.
Ce qui me fascine chez lui, c’est qu’il revendique l’inspiration comme une tension, entre la gravité et l’absurdité, entre le sérieux et l’humour discret, entre le sublime et la banalité. Cette idée, qu’il formule clairement, est que la beauté se cache dans les choses les plus simples, dans ce que nous négligeons. Cela traverse toute son œuvre. Il cite Pam Beesly de The Office pour le dire : « Les choses simples recèlent une telle beauté, n’est-ce pas cela l’épicentre de tout ? ». Il faut oser, pour un musicien issu du classique, se placer là, dans cet interstice. Mais c’est justement ce qui le rend unique et au lieu de chercher la monumentalité, il traque l’instant fragile, le détail qui échappe, la respiration qui donne au temps sa vérité. Sa musique n’essaie pas de nous écraser par la virtuosité. Elle nous invite à tendre l’oreille, à redevenir attentifs, à reconnaître la beauté dans ce qui paraissait banal, une recherche du sens dans l’ordinaire. Son art est une école de l’attention. Il rappelle que ce n’est pas dans le vacarme que se loge la vérité des choses, mais dans les détails ténus qu’on ne voit pas d’habitude.

Je suis particulièrement touché par cette démarche parce qu’elle fait écho à quelque chose que je ressens intensément quotidiennement et pour moi écouter Florent Ghys, c’est entrer dans un monde de boucles et de fragments. Ses répétitions ne sont pas celles d’une machine, elles respirent, elles hésitent, elles se décalent, elles laissent passer d’infimes variations. On sent l’influence de Steve Reich ou de Glass, mais filtrée par une sensibilité européenne, plus intime, un tout petit orchestre de chambre. Dans ses projets comme Bonjour, il va jusqu’à revendiquer l’imperfection, les petits décalages de tempo, les micro-désaccords deviennent matière vivante. L’art naît alors de cette faille, de ce qui cloche un peu mais qui nous ramène à notre propre humanité un peu bancale et certainement éphémère. C’est peut-être là sa plus grande réussite, donner une chair à l’abstraction, ne jamais se laisser engloutir par la seule logique des structures.
La contrebasse chez lui est plus qu’un instrument, c’est un personnage. Elle peut se faire pulsation rythmique, ligne mélodique, espace de résonance. Elle dialogue avec des samples vocaux, des boucles électroniques, des fragments visuels. Ghys aime brouiller les frontières entre acoustique et numérique, entre geste instrumental et montage technique. Il peut partir d’un souffle capté, d’un bruit de quotidien, et l’intégrer dans un tissage qui devient musique. Le résultat est souvent hypnotique et on se laisse happer par la pulsation, et puis soudain un détail nous arrache, un son incongru nous fait sourire, une ligne grave nous replonge dans une mélancolie tendre. Sa musique n’est jamais à une seule température, elle est traversée de courants contraires, et c’est ce qui la rend si vivante, si humaine.
Après l’avoir écouté, on perçoit différemment le silence, la répétition d’un geste, la résonance d’un espace. Sa musique agit comme un décalage, un offset perceptif et elle affine notre regard sur le monde et pour cela il lui suffit de révéler la beauté cachée dans ce qui semblait minuscule.

Pour vous permettre de le découvrir je vous invite à suivre ce petit balisage :
Commençons par le double album Ritournelles & Mosaïques. Il y déploie un art de la miniature, de la répétition obsédante, comme des carreaux de mosaïque qui finissent par former une fresque.
(Exceptionnellement lien vers YT car l’album est incomplet sur son BC).
Puis passons à Bonjour où il s’amuse à écrire des pièces reliées à des heures du jour, comme si la musique devait épouser le rythme du quotidien. Je suis sûr que vous allez adorer le vendredi, tout le monde aime le vendredi.
Et surtout, prenez soin de vous.