Ce soir je vous emmène dans l’univers de Mike Cadoo aka Gridlock.
Le monsieur est musicien et produit toutes sortes de variations électroniques comme de la Post Industrial Glitch, sorte de Drum’n Bass lente, déstructurée et noyée dans des vagues d’ambient atmosphérique. Il est aussi patron du label n5MD (ce qui signifie No Fives, Minidiscs et vient du fait qu’en 2000 ils avaient commencé en ne produisant que sur un seul support physique : le mini-disc Sony qui était à l’époque le nec plus ultra du format numérique portable). Pour l’histoire ce format a fait un énorme bide commercialement et a été abandonné dans les années qui suivirent au profit des baladeurs MP3. Souvenez vous 1999 c’est l’arrivée du P2P et de Napster, 2001 c’est KaZaa. Mais revenons à Cadoo, je vous laisserai creuser le Label seuls, ça vaut vraiment le coup.
J’ai envie de faire cette chronique parce que j’ai un lien particulier avec la musique de Cadoo, et en passant vous pouvez d’ailleurs retrouver tout son génie dans les autres formations qu’il enchante telles que Bitcrush, Tangent, Dryft, Brood (C’etait son groupe de Death Métal), Still, Under, Vague Lanes. Cadoo est un artiste protéiforme et je l’avais découvert sur l’album Formless (sans forme) de Gridlock (fixé sur la grille temporelle).
Pour tout vous dire, cet album je l’ai déjà chroniqué il y a plus de 20 ans. Croyez moi si vous voulez, mais je me souviens de cette chronique alors que je ne l’ai jamais conservée, jamais relue, et tous les sites où elle fût publiée à l’époque sont down aujourd’hui (et introuvable sur Internet Archive). Pourtant, je me rappelle de l’avoir écrite comme si c’était hier. La mémoire est et reste un mystère.
A l’époque j’écris sur les albums que j’aime et à cette époque je suis seul dans mon petit appart, guère mieux qu’une chambre d’étudiant crasseuse. Cet album, je tombe dessus par hasard. Je l’ai téléchargé avec un lot en P2P et je crois que je ne m’attends à rien. En le découvrant, c’est un état total de surprise et de sidération.
Mais plutôt que de vous raconter, je vais vous refaire la chronique. Je vais vous la refaire de mémoire, telle qu’elle fut écrite il y a 20 ans. Je vous mets le son directement du coup à écouter pendant sa lecture.
A cette époque, j’ai à peine plus que 20 ans, et j’écris ceci sur ce clavier précisément :
“L’album commence comme quelque chose qui va changer votre vie. “Pallid” s’ouvre sur des Bolas de feu traversant la scène sonore. Une sorte d’orgue électronique et une nappe de son étirée s’étend au loin. Tout à coup quelque chose éclos. C’est un déluge d’explosions, des gerbes d’étincelles en fusion jaillissent de tous les côtés, les Glitchs se sont multipliés, ils découpent, ils lacèrent le son comme le feraient les griffes d’un tigre qui veut vous tuer. L’accélération pousse sous nos pieds comme un tremblement de terre et le morceau s’envole. La fusée largue son étage propulseur avec un écrasement saturé, et provoque une sorte de petit passage intemporel ou l’espace ne conduit plus le son. Deuxième plage de l’album, on est peut être dans les allées d’un marché, dans les rues d’une ville inconnue et lointaine, des petits éléments glitchés viennent de tous les côtés comme des sollicitations à acheter des produits, mais quelque chose cloche. L’image est belle mais elle est saccadé de sursauts, d’arrêts brusques, de redémarrage. Il y a comme des bugs dans la matrice. Ce second morceau fini déjà. “Untitled” commence. Un morceau auquel on n’a pas voulu donner de nom. Sans nom, voilà, comme quelque chose qui n’a aucune existence, un enfant de personne, devenu rien du tout. Il y a dans la mélodie une résignation, je crois qu’on s’est réveillé, le marché, l’odeur du poulet rôti, le cri des marchands, tout cela n’était qu’un rêve, la sensation de faim à disparue, il ne reste plus que la réalité crue. Celle qui se déroule tranquillement sous nos pas. Il y a dans ce morceau l’espoir qui nous porte parce qu’on sait que demain sera surement meilleur. De petites ponctuations dans “Return” sonnent comme les petits plaisirs idiots du quotidien, ces trucs qui ne nous provoquent plus aucun bonheur durable parce qu’on ne les regarde plus, parce qu’on en apprécie plus la valeur. Tout est une histoire de dose, pour la drogue comme pour les plaisirs de la vie, on s’habitue à la dose et il en faut toujours plus pour obtenir le même résultat. “Song 23” ouvre une porte sur un endroit sombre, profond et sans lumière. C’est un endroit d’effrois et de troubles. Il n’y a que quelques lucioles, quelques Glitchs qui tournoient et virevoltent autour de nous pour nous permettre d’y voir, un tout petit peu, à peine. Des points de repère dans une nuit noire. Ce morceau est un virage dans l’album, il introduit des nappes irréelles et haut perchées. Elles viennent adoucir cette sensation d’égarement, cette tristesse qu’aucune surdose ne viendra jamais résoudre. “Invert”, relance une dynamique d’envie, une dose de vie. Enfin, de l’air comme après une asphyxie. La vie c’est ce truc qui brûle et qui revient toujours, même après le feu, même après les cataclysmes. Ce morceau c’est un peu cette pousse de végétal vert vif qui pointe de toute ses forces ses feuilles vers le ciel pour capturer les rayons du soleil et qui se trouve au milieu des cendres encore fumantes d’une forêt dévastée par un incendie. “Chrometafor” est une autre métaphore, c’est une montée dingue de 3 minutes qui débouche sur une nouvelle explosion. Le talent de Cadoo c’est de faire naître ces Climax pendant l’album, ce sont des portes de sorties, des transfigurations éphémères, des moments de plaisirs intenses. Le morceau se termine par une minute entière de doutes, après le plaisir vient la prise de conscience de notre médiocrité. Pétrifié de découvrir ce que nous sommes. Je crains que cela ne nous détruise, et pourtant “Scratch” arrive pour nous réchauffer. Les synthés sont gras, les glitchs et tout dans ce track nous projette dans “Displacement”. Tambours tribaux, ambiance sauvage et glitchs électroniques, répétitions à l’infini de voix qui tournoient et se transforment en synthé et redeviennent des voix. J’aimerai tellement un jour savoir faire ça, faire évoluer le son dans des dimensions aussi perchées. L’album se poursuit comme une petite répétition de la première partie. C’est comme dans la vie, un cycle tous les jours c’est le même jour, tous les WE qui se ressemblent, ces pâtes à la tomates qui se ressemblent, cette fenêtre de chat internet qui s’ouvre tous les jours, cet enchaînement quotidien, le taff, la route pour s’y rendre, la clope que j’allume dans la bagnole, tout n’est que recommencement sans aucun sens. Rien n’a de sens sauf si j’en fixe un ou si tu existe. Il faudra que ça ait du sens sinon cela me tuera. “Atomontage” apparaît soudain comme un déluge, une pluie de drums, une basse et une nappe aérienne et stratosphérique. Il y a quelque chose dans les airs qui brille, et cette pluie de feux follets retombe sur nous. La magie ca n’existe pas et pourtant. Il y a forcément une voie, on ne peut pas en rester là. “Done Processing” arrive et dure 9 minutes, c’est tellement long 9 minutes et tellement pas assez pour organiser tout ce que je devrai faire pour avancer, et déjà commencer par le vouloir. Et pourtant j’ai l’impression de n’arriver à rien, tout est un long échec, une longue agonie, un défilé de doutes et pas une paire de couilles à l’horizon pour y faire face. Cadoo n’est pas un garçon avare de réconfort, ce morceau sonne comme une main tendue qui me soutient, elle ne me lâche pas, elle me rassure, elle m’apaise. Cette douceur c’est tout ce dont j’ai toujours rêvé. C’est tout ce que je n’aurai jamais. elle est magnifique, c’est ce son qui me la procure.
L’album est terminé, il ne reste que le silence dans la pièce, le silence d’un mec seul et ce moteur de frigo qui ronronne dans l’appartement. Je crois que ce disque m’a parlé comme aucun autre avant.”
Formless est sorti en 2003 et c’est chez Hymen.
Prenez soin de vous.