Ce soir je vous emmène dans l’univers de David Letellier Aka Kangding Ray. C’est un Français, encore un. Il vit depuis sur Berlin mais il vient bien de chez nous, c’est un breton. J’ai toujours dit que ce pays avait enfanté la crème de l’expérimentale électronique mondiale et c’est sans faire de nationalisme bien au contraire car la musique abolit toutes les frontières.
Alors qui est il, que fait il et pourquoi c’est génial? Déjà commençons par le début, le monsieur a commencé comme guitariste, dans des groupes de Post-Rock et de Rock-Noise. Il était aussi parfois batteur mais sans être trop bon à ce poste, et dans sa démarche de faire de meilleures batteries il s’est équipé un jour d’un sampler. Il pensait apprendre à s’en servir pour faire de meilleures batteries mais ce qu’il a appris à faire avec cette machine diabolique à complètement changé sa vie.
A la base encore il a fait des études d’architecture, et comme de nombreuses personnes ayant cette formation, il a pu appréhender des aspects bien fondamentaux d’espace, de structures, de détails, de matériaux, et il a tout naturellement tout appliqué à la matière sonore. Il s’est retrouvé un jours a taffer dans le cabinet qui l’employait et il s’est dit que c’était pas ça sa vie et qu’il ne pouvait pas faire cela et être heureux. Il a simplement démissionné et il s’est enfermé avec son matériel. Au début un matériel un peu pourri, pas très fonctionnel mais ça ne l’a pas empêché bien au contraire d’en tirer le meilleur, car il a un talent qui dépasse le matériel. Aujourd’hui il est devenu “hardcore master” d’outils ultra complexes comme des synthé modulaires, des polyarrangeurs comme les octatracks qui sont de magnifiques saloperies indomptables et d’autres machines (tout le bestiaire électronique de synthèse) toutes absolument plus dingues les unes que les autres.
Son approche est par bien des aspects celle d’un bruitiste. Il affectionne particulièrement des sonorités minérales, métalliques, les céramiques, les bruits les plus divers venant de surfaces et de matières très diverses qu’il capture et utilise. Chacune de ces matières cède un peu de sa magie et de la somme des paramètres physiques qui la définissent dans le son qu’elle à produit lorsqu’on la fait sonner. Et lui… et bien il a chargé son sampler de tous ces morceaux de matière pour construire la sienne, pour faire ce qu’il avait toujours eu envie de faire. Il se refuse pourtant à se définir comme architecte sonore, ou des termes “pompax” comme “Sound Designer”, lui dit simplement je fais de la musique, et en fait je la fais pas je la cherche et c’est elle qui me trouve.
Très attaché au principe d’objet conceptuel, il décrit l’unité “album” comme une sorte d’expurgation passagère d’un état lui-même transitoire. C’est la capture d’un moment, d’un concept, d’une vibration de l’instant et c’est une ambiance unique qui ne se ressent complètement qu’en considérant l’album dans son entier.
Ses premières productions sont faites avec des structures très mélodiques, tissées comme une dentelle de sons avec des nappes très structurantes pour les tracks comme dans l’ambient. Ce sont ces morceaux qui m’ont absolument fait vriller à l’époque ou je les découvrais.
Il parle de la musique qui parle au corps et aussi à l’esprit et de la façon dont elle peut transcender tout cela pour créer des moments uniques. Des moments singuliers, parce que les sons sont uniques (je sais c’est dur à dire). Pensez vous qu’il puisse exister des sons uniques ? Si vous n’y croyez pas alors vous ne croyez pas être vous-même unique. Le son à la différence d’une couleur par exemple n’est pas défini que par 4 ou 5 paramètres (j’en oublie certainement mais en gros, level de bleu, level de rouge, level de vert, contraste, luminosité). Voilà vous avez une couleur, mais qui n’est pas vraiment unique puisque tout le monde peut la reproduire en connaissant ces 5 paramètres. Le son, la note l’élément de base de la musique lui est unique parce qu’il est défini par quelque chose comme… 109 paramètres différents. Voilà ce qu’est le son.
Et voilà pourquoi ça peut vous toucher, parce qu’il n’y a que les personnes un peu uniques qui semblent aussi nous toucher, et parfois changer nos vies. Le son de Kangding Ray c’est un peu cela, c’est un son tellement particulier et tellement transperçant qu’il peut vous changer de l’intérieur, il peut vous amener à reconsidérer ce que vous pensiez acquis, il peut vous transformer en quelque chose de meilleur.
Je suis bien ennuyé à l’idée de vous orienter dans sa discographie tellement tout est absolument digne d’intérêt. Néanmoins puisqu’il est mieux de vous proposer d’y rentrer correctement je vous propose d’y aller par « Automne Fold » son deuxième album. Vous y trouverez les bases les plus profondes de ses premières productions, si vous accrochez vous êtes foutu et la suite va découler naturellement. Cet album est sorti il y a déjà 15 ans, je le connais absolument par cœur, et il ne vieillit pas.
En second album je vous propose d’aller sur “Or” sorti 7 ans après Automne Fold.
Après quoi vous pouvez allez voir le dernier en date qui est la BO du film “Quand Viendrez vous embrasser mes blessures” qui est un film tragi-comique sur les rêves de vie brisés, l’amour douloureux, la solitude et les désirs cachés, sur la techno, l’art, les peurs existentielles et le vieillissement – et enfin et surtout sur le pouvoir de guérison de l’amitié profonde. Un joli film.
J’oubliais,
prenez soin de vous.